« Le consommateur européen ramperait nu sur du verre pilé pour avoir des billets moins chers ». Michael O’Leary, PDG de Ryanair.
Comment une compagnie comme Raynair arrive-t-elle à proposer des prix aussi bas ? En comprimant les coûts au maximum bien sûr (voir plus loin le « dumping social) ». Mais aussi en extorquant de l’argent public.
Soutirer de l’argent public
Un élément important de la rentabilité de Ryanair est la mise sous pression des autorités régionales qui, souhaitant attirer la compagnie dans leurs aéroports, sont prêtes à tout. Les aéroports ont l’obligation de contribuer financièrement à la promotion des lignes Raynair – Les coûts des services qu’ils offrent sont à peine compensés par la compagnie irlandaise qui exige en outre des subsides pour la formation de ses pilotes et une prime d’un euro par passager.

Or, les cadeaux offerts par des aéroports régionaux à Raynair n’ont été possibles que par le fait que ces aéroports sont subsidiés par des autorités publiques (la Région Wallonne dans le cas de l’aéroport de Charleroi ; environ 50 millions d’€ par an). De l’argent des contribuables wallons, même ceux qui ne prennent jamais l’avion, finit donc dans les caisses de Ryanair… La collectivité paye ainsi deux fois : des impôts pour subsidier les activités de Ryanair en Belgique, des pertes d’impôts et de cotisations sociales (car Ryanair paye ses impôts en Irlande de même que ses charges sociales.)

L’Association européenne des compagnies aériennes estime le total des aides publiques bénéficiant à Ryanair à près de 800 millions d’€ par an ! Quand on sait que le bénéfice annuel de Ryanair s’élève à environ 500 millions d’€, la conclusion est claire : Ryanair serait déficitaire sans l’argent public !
Comparons ces chiffres avec ceux de la compagnie belge SN Airlines au bord de la faillite (en partie, à cause de la concurrence déloyale des compagnies low cost comme Ryanair) qui demande à l’Etat belge des réductions d’impôt et de cotisations sociales pour un total de 20 millions d’€ par an… !

dumping social 

Une constatation : les pilotes et le personnel de cabine (hôtesses et stewards) coûtent à Ryanair nettement moins cher qu’ils ne coûtent aux compagnies « traditionnelles » (SN Brussels Airlines, Air France, Lufthansa,…) et ce pour des prestations du personnel plus importantes.
Comment est-ce possible ?
Une partie de l’explication : les contrats de travail sont signés à Dublin et ce serait dès lors le droit irlandais (nettement plus favorable aux employeurs) et non belge qui s’applique… ! Les syndicats belges ont dénoncé cette pratique et intenté des actions en justice. En vain : les tribunaux belges ont donné raison à Ryanair, argumentant que la loi belge ne s’appliquait pas en l’espèce.

Pour tenter d’y remédier, en mai 2011, trois députés du groupe ECOLO-GROEN (dont le député namurois Georges Gilkinet) ont déposé une proposition de loi visant « à faciliter l’interprétation des critères qui déterminent l’attribution de la compétence judiciaire et le droit applicable lorsque des travailleurs du secteur du transport aérien saisissent un juge belge d’un litige ». Le président (socialiste !) de la Commission des Affaires Sociales de la Chambre n’a pas jugé utile de mettre la proposition à l’ordre du jour…. Les députés PS, CDH et MR sont restés de marbre… un silence qui cache la peur de déranger Ryanair ? Deux ans plus tard, elle est toujours au frigo… ! (texte de la proposition de loi sur www.lachambre.be/FLWB/pdf/53/1503/53K1503001.pdf)

Citons Tony Demotte, secrétaire général de la CNE (CSC) : « On a affaire à une compagnie implantée sur le tarmac belge, avec des avions basés en Belgique mais qui ne droit pas respecter le droit belge. C’est un véritable cheval de Troie dans notre droit du travail. (…) » On trouve déjà le même type de ‘’modèle’’ dans le transport par camion, il y en aura d’autres. Ne pas payer de charges sociales, ça laisse rêveur plus d’un employeur belge. (…)

En avril 2012, le Parlement Européen a approuvé une nouvelle réglementation : les pilotes, hôtesses et stewards nouvellement engagés ne seront plus soumis au régime de sécurité sociale du pays d’origine de la compagnie aérienne qui les emploie mais bien du pays où ils décollent et atterrissent « habituellement ». Mais sous la pression des lobbys, les compagnies low cost ont jusqu’en 2022 (!) pour l’appliquer aux personnes déjà sous contrat… Notons que cette nouvelle réglementation ne change rien au fait que les travailleurs de Ryanair continueront à relever du droit irlandais et soumis à des contrats de travail inimaginables en Belgique (voir encadré extrait article du Soir)…

72 % des pilotes (et tous les membres du personnel de cabine) sur les avions Ryanair sont employés par une société sous-traitante, l’irlandaise Crewlink : à la différence de leurs collègues directement sous contrat avec Ryanair, ces pilotes ne sont payés que pour le temps de vol effectif : la préparation du vol, le temps d’escale et le débriefing ne sont pas rémunérés. (…) Nombre de pilotes volant sur Ryanair dépassent le plafond annuel de 900 heures de vol, une entorse à la réglementation européenne, tolérée par la Irish Aviation Authority. Et certains peuvent ne pas avoir de congés durant 15 mois » (« Alternatives Economiques » – février 2013). Les frais d’hébergement étant à leur charge, il n’est pas rare que des pilotes « dorment » dans les terminaux ou dans leur voiture (témoignage d’un pilote d’une compagnie low cost). Pas idéal avant de reprendre les commandes… !

Ajoutons que Ryanair n’accepte aucune activité syndicale. Celui ou celle qui s’y risquerait serait licencié sur le champ ! On peut être syndiqué mais discrètement. Le mépris sinon la haine vis-à-vis des syndicats est une marque de fabrique chez Ryanair : son responsable à l’aéroport britannique de Stansted a ainsi envoyé un mémo aux membres du personnel leur conseillant de plutôt consacrer l’argent de leurs cotisations syndicales aux filles faciles ou aux courses de chevaux ou de chiens, expliquant que cela leur procurerait au moins quelques minutes de plaisir !  (Amnesty International Belgique 2004)
En 2011, Claire, une jeune hôtesse de l’air de Ryan Air, basée à Charleroi, a été licenciée, après avoir distribué un tract de la CNE (CSC) à des collègues, tract dans lequel le syndicat réclamait notamment :
une comptabilisation de toutes les heures de travail (!)
le paiement correct ou la récupération des heures supplémentaires
le paiement du salaire garanti en cas de maladie (comme la loi belge le prévoit)
Toutes revendications inacceptables pour un patron comme O’Leary qui a dit un jour « The law is my law » (« la loi, c’est ma loi »)…
Francis Toussaint