Les CPAS sur l'autel de l'austérité

Publié le 25 septembre 2012
Rédigé par 
Valérie Delporte

Une opinion de Luca Ciccia. Revue “Politique”, coordinateur du dossier “CPAS, emplâtre du contrat social” (n°76, septembre-octobre 2012).
Via LaLibre.be


Les Belges n’ont jamais été aussi riches ! Leur patrimoine financier était de 966,3 milliards d’euros à la fin mars 2012, un record historique. Les résultats des entreprises suivent le même chemin. Et dans le même temps, la récession est aux portes de la Belgique. La zone euro a vu le nombre de chômeurs augmenter de deux millions entre juillet 2011 et 2012. Pas de quoi rassurer les futurs présidents de CPAS qui débuteront leur mandat après les élections communales dans une Europe qui voit les symptômes d’avant crise des subprimes refaire surface : croissance des richesses et des inégalités.

Les Centres publics d’action sociale sont le dernier rempart contre l’extrême pauvreté. En cette période de crise économique, ces institutions craignent l’avenir et se préparent à accueillir des usagers de plus en plus nombreux : 160700 bénéficiaires du revenu d’intégration sociale en 2011 contre 140 042 en 2000. En Région bruxelloise, c’est l’explosion : 24 135 bénéficiaires en 2000, 40 921 en 2011 ! La précarité s’aggrave et les allocations versées restent en deçà du minimum permettant aux plus démunis de survivre avec dignité : 785,61 euros par mois pour une personne isolée quand le seuil de pauvreté est estimé à 973 euros par mois.

Rassurons-nous, trois événements politiques belges vont bientôt remettre à l’avant-scène le défi de la lutte contre la pauvreté. En octobre, nous voterons et élirons, par voie indirecte, les futurs présidents de CPAS. Quelques jours plus tard, comme déjà précisé par le Premier ministre, le budget 2013 sera négocié par le gouvernement fédéral. « Last but not least », les partenaires sociaux négocieront d’ici la fin de l’année le prochain accord interprofessionnel et l’évolution des salaires. Voilà trois occasions d’espérer… en vain.

Illusoire en effet d’espérer de grandes révolutions en matière de lutte contre la pauvreté à l’issue des scrutins communaux. Les communes ne peuvent que pallier à une situation sur laquelle elles n’ont que peu de prise. Pire encore, elles sont supposées financer avec leurs maigres moyens la solidarité née d’une loi fédérale. Drôle de solidarité que de voir les CPAS des communes les plus pauvres prendre à leurs charges les déshérités du royaume Le président de CPAS n’a donc pas les attributs de sa fonction, ni les moyens de ses objectifs. Illusoire aussi d’espérer de grandes révolutions en matière de lutte contre la pauvreté à l’issue de la négociation budgétaire. Le budget sera négocié de façon à respecter les recommandations des banques commerciales, et leur alliée, la Banque centrale européenne à peine cachée derrière son paravent pseudo-démocratique qu’est la Commission européenne. L’exercice sera voué aux économies, non à la lutte contre la pauvreté.

Illusoire enfin d’espérer de grandes révolutions en matière de lutte contre la pauvreté à l’issue de la négociation interprofessionnelle : l’heure sera à la préservation de l’indexation automatique des salaires et de la liaison au bien-être. Il s’agira tout au plus de maintenir un semblant de pouvoir d’achat sans trop se soucier de l’évolution croissante de la productivité et des dividendes octroyés aux actionnaires.

La négociation salariale échappera, une nouvelle fois, à toute rationalité. Les salaires seront compressés sur l’autel de la compétitivité, sans se soucier de l’évolution du chômage. C’est pourtant par une juste distribution des fruits de la productivité, répartis par le biais d’une réduction du temps de travail, que le chômage serait réellement pris de front, et ainsi la pauvreté. Cet automne sera donc un moment de grande illusion.

Cette illusion trouve ses racines dans un mal profond qui gangrène notre démocratie : l’abandon, l’absence du politique. Elus locaux, partenaires sociaux et gouvernement fédéral échoueront à rencontrer l’objectif d’amélioration du vivre ensemble, alors que c’est là leur mandat. Mais qui sont vraiment leurs mandants ? Les citoyens ou la Commission européenne ? Les affiliés ou le « marché » ? Les entreprises ou les actionnaires ?

Les acteurs de terrain répètent inlassablement les mêmes revendications, les mêmes constats (1). Ceux-ci n’ont toujours pas été entendus. Ils demandent que les allocations rejoignent le seuil de pauvreté, que le statut de cohabitant soit progressivement supprimé pour que les femmes puissent recouvrer un peu d’autonomie et de liberté réelle, que le pouvoir fédéral intervienne à raison d’un minimum de 90 % dans l’aide sociale octroyée par les communes, ou encore que l’activation des allocataires cesse. Au lieu de cela, l’austérité frappe à la porte. Le gouvernement actuel a augmenté la pression sur les chômeurs et réduit leurs droits. Les CPAS voient augmenter le flux d’exclus de l’Onem .

Et la campagne communale commence. Certains semblent indiquer la voie à suivre. A Liège, la soupe populaire ne pourra plus occuper la place. A Etterbeek, quatre mendiants pourront occuper la même rue. Pas un de plus. Point de fatalité pour ceux qui espèrent des lendemains meilleurs.

Ce 30 septembre, la « société civile » organise une manifestation à Bruxelles. Initiée par le Réseau belge de lutte contre la pauvreté, la « Plate-forme pour la prospérité et contre les inégalités » est depuis peu renforcée par les organisations syndicales. L’action reste indispensable pour rappeler aux politiques que la lutte contre la pauvreté est de leur responsabilité. N’est-ce pas l’objectif de prospérité partagée qui fonde la démocratie politique ? Sans doute les néolibéraux devraient-ils relire Adam Smith qui estimait que « l’Etat vraiment opulent est celui dans lequel l’abondance est aisément accessible ou dans lequel une faible quantité de travail est capable de procurer à chaque homme une grande abondance de toutes les nécessités et de tous les agréments de la vie » (2) . Lutter contre la pauvreté, rendre l’abondance aisément accessible à tous, c’est redonner sens à la politique. L’autre voie est celle de la banalisation du mal. Elle est dangereuse pour tous …

(1) Voir la campagne du CSCE et leur mémorandum via www.asbl.csce.be.

(2) A. Smith, « Adam Smith as Student and Professor », 1937 (1760), Glasgow.